1. Lire son texte
À l’origine en 1987, Mark Smith a inventé le slam pour donner un aspect spectaculaire à la poésie. Alors cantonné à l’écriture et destiné à être lu, le cinquième art rejoignait selon lui difficilement les néophytes.
Ce rapprochement avec l’art populaire marque évidemment le passage d’une langue écrite à l’oralité. Plus flexible et plus spontanée, la forme orale jouit des accents, de la voix et de la présence scénique des artistes. Le volume, le ton, le rythme, la vitesse et même la mise en scène deviennent autant d’outils à la disposition du poète pour transporter le public dans son univers. Bref, rien de pire que les yeux d’un slammeur scotchés à son écriture qui pitche avec l’énergie d’un curé.
Pour exploiter un texte à son plein potentiel, le slammeur a le souci d’inclure les particularités de l’oralité. Le texte gagne en crédibilité, en dynamisme et décuple son pouvoir attractif. Si l’artiste parvient à se détacher les yeux de sa feuille il peut alors créer une réelle symbiose entre ses images poétiques et le public.
Dans le même ordre d’idées, le slammeur avisé cherche à utiliser son corps. Sans exubérance, un geste appuie sur les ponctuations, peut amener un second degré et sert aussi à tempérer les réactions imprévisibles du public.
Du point de vue de l’artiste, le slam de poésie se rapproche davantage de la musique de cabaret et du stand-up en humour que de la littérature (tout en gardant les mots comme véhicule principal). L’esprit originel du slam selon Mark Smith était de pimenter les soirées de poésie classiques. Une bonne préparation et une aisance globale à la communication orale va évidemment augmenter la qualité de l’œuvre poétique présentée dans sa forme slammée.
2. Crier dans le micro
Trop de slammeurs maitrisent mal le formidable outil qu’est le micro. On ne demande pas aux poètes de devenir des MC prêts à improviser un beatbox. Par contre, le « maître de cérémonie » en slam prend le temps d’ajuster le support de son micro avant de commencer de manière à parler en toute aisance. Il connaît aussi la distance idéale pour amplifier sa voix correctement et évite de créer de la distorsion en gardant une distance adéquate entre le micro et les caisses de son.
Comprenez-moi bien, crier n’est pas à proscrire. L’effet d’une voix puissante et maitrisée ajoute sans conteste un effet percutant dans un slam. Par contre, si vous criez, vous pouvez le faire hors micro! De grâce, éloignez-le au moins de votre bouche. En compétition, un slam crié mur à mur vous disqualifiera d’office et cracher sur son public n’est jamais gagnant non plus. Idéalement, gardez votre puissance vocale pour l’acoustique de la salle et pas pour le micro.
Dans une soirée de slam, le microphone est calibré pour que tous puissent entendre un chuchotement (un autre bel effet de volume à essayer). Donc, si vous criez dans votre micro, une bonne partie du public risque de décrocher. Soyez certains que votre texte justifie l’augmentation de volume maximale. J’ai vu d’excellents poètes gâcher la forme de leur slam en terminant un super crescendo de volume avec une dernière minute criarde; c’est franchement insupportable.
C’est possible d’augmenter le volume de votre voix pour être percutant sans toutefois crier. C’est le même principe avec votre système de son. Quand on veut impressionner, on augmenter le volume, mais pas au point d’exploser sa machine. Vous faites un crescendo en volume pour monter en intensité? Entamez votre texte à basse intensité pour le terminer sans exagération.
3. Prendre moins de 2 minutes 30
En compétition, un slam doit durer au maximum 3 minutes. Ce point peut paraître évident, mais il existe quelques trucs pour bien remplir votre temps sans tomber dans le fla-fla et remplir du vide.
J’ai souvent vu d’excellents poètes chuter avec d’excellents textes uniquement parce que le slam était trop court. Le public est les juges ont l’impression de rester sur leur faim. C’est comme au restaurant, pour éviter cet effet de déception, il faut donner autant en qualité qu’en quantité au client.
Vous me voyez venir, quantité ne veut pas dire couper sur la qualité, au contraire. Essayez de ralentir la vitesse de votre élocution. Avec le stress, même les meilleurs vont parler un peu plus vite qu’à l’habitude. Une vitesse plus lente favorise l’imagination du public qui aura plus de temps pour intégrer votre univers poétique. Faites de plus longues pauses aux ponctuations de votre texte est aussi une bonne manière d’aérer la forme. Vous pourriez aussi commencer votre slam en vous présentant, en saluant les autres artistes ou en remerciant le public. C’est une bonne manière de créer une première impression favorable qui vous aidera peut-être à avoir une meilleure note.
Par ailleurs, parler vite pour rentrer dans son 3 minutes n’est pas non plus une bonne solution. À moins d’avoir une diction exceptionnelle, le texte peut rapidement tourner au charabia et le public va simplement laisser couler vos images sans écouter. Ça vaut pour toute forme de communication, si les gens ne comprennent pas ce que vous dites, vous êtes mal partis.
Pour terminer, lorsque vous vous préparez, chronométrez-vous, ça évitera les mauvaises surprises.
4. Considérer le public comme passif
Le public est une créature imprévisible qu’il importe de considérer comme hautement réactive. Le même slam, slammé à l’identique devant deux publics recevra des réactions complètement différentes.
C’est difficile de s’adapter au public. Par exemple, si le public éclate de rire, il faut lui laisser le temps de satisfaire cette envie. Vouloir le faire taire ou continuer à slammer par-dessus risque dans le meilleur cas de vous rendre inaudible et dans le pire tout simplement insensible. L’expérience demeura votre outil de prédilection pour vous améliorer à ce chapitre et même une préparation olympienne ne remplacera pas une bonne écoute.
Beaucoup de l’écoute passe par le regard du slammeur. Les théories sur le balayage visuel d’une salle vous permettent de faire sentir à chaque personne dans le public qu’elle est bienvenue. Elle permet aussi de percevoir les réactions et de vous y adapter. Vous pouvez même vous garder un allié visible depuis la scène qui pourra vous indiquer si vous ne parlez pas assez fort, ou trop vite par exemple.
En sublimant cet aspect, j’ai vu certains slammeurs se lancer dans des phases de texte à répondre, jouer avec le rire pour l’amplifier et réagir au petit comique en arrière avec brio. Chaque fois, c’est une démonstration d’aisance, d’écoute et de maitrise de l’art scénique qui a payé lors de l’attribution des notes.
5. Omettre la mise en scène
La mise en scène dans le slam est souvent réduite à sa plus simple expression. Un micro et un artiste debout derrière son lutrin. On pourrait croire que les possibilités sont très limitées. Or, le minimalisme matériel n’est pas un obstacle à la planification des mouvements dans l’espace et de l’utilisation de toutes sortes de sons.
Certes, les moyens ne sont pas nombreux, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en utiliser. La mise en scène, c’est créer des repères pour le public qui servent à la fois à faire respirer votre texte et à le rendre intelligible. Un même texte sera reçu différemment s’il est slammé les yeux fermés, en tapant du pied ou à genou dans le public. Regardez ce que font les autres slammeurs. Si vous pouvez vous démarquez ne serait-ce qu’en occupant un endroit différent de la scène, pourquoi pas? Je suggère de développer au moins assez d’aisance pour décrocher le micro de son socle afin de pouvoir bouger un peu.
Chaque scène est différente. Si vous avez la possibilité de monter dessus avant le show, faites-le. Prenez-le temps d’intégrer cet espace dans votre préparation. Sans devenir comédien, le slammeur peut jouer de son corps dans l’espace pour ponctuer son texte.
Finalement, la mise en scène n’est pas un aspect essentiel pour bien slammer, mais les artistes percutants parviennent à se démarquer d’une manière ou d’une autre, parfois en toute subtilité. À vous de jouer.
6. Le rap
À la base, le rap, c’est trois lettres qui signifient « rythm and poetry ». Jusque-là, on joue complètement sur le terrain du slam. Un slam peut donc être une forme a capella du rap, mais à condition d’être parfaitement maitrisée. Pour moi, le rap est un art en soi. En slam, l’artiste est libre de rythmer son texte comme il le sent. C’est là tout le danger.
Parlez-en aux slammeurs qui font du rap leur pain et leur beurre. Le rap prend des années pour être maitrisé. C’est le pinacle de la technicité rythmique dans l’art oratoire. Seule une poignée de slammeurs rappent avec succès au Québec. Pourquoi? Parce que le rythme dans le slam n’est pas dicté par les percussions ou la musique. C’est déjà difficile de rapper sur un beat. Alors, si vous vous lancez sans beat, vous aurez besoin d’avoir un solide texte à l’appui et une diction infaillible. De la même manière, un cliché ou une rime facile qui coulerait dans le flow avec de la musique risque fort de tomber à plat sur une scène de slam.
J’encourage les jeunes artistes à essayer, mais soyez conscient que pour bien rapper il vous faudra pratiquer dix fois plus. Soyez aussi conscient que le public n’est pas nécessairement friand de rap, mais bien de poésie. En compétition, certains artistes qui rappent peuvent être accueillis avec plus de froideur et de sévérité par les juges uniquement parce que la forme est rapée.
Pour éviter le malaise, le fond et la forme doivent être maitrisés et impeccablement ficelés ensemble. C’est le piège à éviter du rap; si votre texte est pauvre, vous ne serez qu’un rappeur lambda parmi les poètes. Encore pire si votre technique n’est pas au top, vous ne serez qu’un mauvais rappeur.
7. Esclave de la rime
À moins de faire du rap a capella, la rime n’est qu’un des multiples effets que les mots peuvent apporter au rythme d’un slam. Beaucoup de slammeurs assoient leurs lauriers d’écrivain sur la rime. Il peut arriver que le public aime les esclaves de la rime de manière démesurée. Par contre, une bonne note des juges ne fait pas nécessairement de vous un bon poète.
La rime, c’est comme du fromage gratiné. Ça rehausse le plat en quantité adéquate. Par contre, mettez en trop et c’est la catastrophe. Encore une fois, en slam il n’y a pas de musique pour faire oublier une rime facile. Le plus souvent, une rime forcée dénaturera votre univers tout simplement. Si vous terminez tous vos vers par des rimes sans que cela n’ajoute de valeur poétique à votre texte; c’est raté.
Posez-vous la question, si j’enlève cette rime, est-ce que le vers poétique conserve sa puissance? Si la réponse est non, vous avez la solution pour sortir de la médiocrité. Une bonne rime arrive souvent à la substitution d’un mot lors du retravail. Si vous forcez votre plume à composer en rimant, ça va se sentir.
Une autre manière de vous distinguer est d’utiliser tous les effets de style à votre disposition. Un vocabulaire étoffé, la phonétique en général, les métaphores et autres figures stylistiques sont autant d’outils pour enrichir votre texte sans tomber dans le gratinage gratuit.
Je termine ce point avec une citation que j’affectionne particulièrement : « Le meilleur poème n’est pas nécessairement le plus habilement construit, mais celui qui contient le plus de poésie ».
8. Un texte descriptif, désincarné
Ce point fait suite aux points 1 et 7; le slam de poésie doit avant tout contenir de la poésie. Un texte descriptif avec des mots primaires associés de manière conventionnelle n’est pas un poème: C’est un texte. De la même manière, une interprétation désincarnée n’est pas un slam: C’est une lecture. Finalement, une prise de parole sans poésie; c’est du spoken word.
D’abord, faites appel à vos sentiments. En poésie, ce ne sont pas les mots qui décrivent ces sentiments, mais les mots ensemble qui suscitent des images. Ces associations, ces images germent dans la tête des gens et c’est ça qui crée la poésie. En poésie, « un mot vaut mille images ». C’est cette habileté à créer des images poétiques et à les faire couler ensemble dans un flot harmonieux qui départage les parleurs du dimanche et les slammeurs qui manipulent des images fortes.
Pour citer quelques exemples, raconter sa peine d’amour, critiquer le gouvernement ou faire rimer son enfance difficile a peu de valeur poétique. Par contre, si vous arrivez à imager, en mots, ces expériences fortes en émotions, vous gagnerez le cœur du public à coup sûr.
9. Prendre les notes personnelles
C’est un aspect qui dérange autant les slammeurs débutants que les plus expérimentés; la note. En compétition, c’est frustrant de voir son texte démoli par cinq personnes choisies au hasard dans le public. Plusieurs fois, je suis ressorti en colère d’une soirée parce que j’avais l’impression de ne pas avoir reçu la note que je méritais. Tenez-vous le pour dit, parfois vous gagnerez contre meilleurs que vous et d’autres vous serez battus dans l’incompréhension la plus totale.
En général, les juges descendent rarement en bas de 7 sur 10. Un soir à Québec, j’ai reçu un scintillant zéro. Le gars n’attribuait même pas sa note à mon texte. Baveux, sous les huées, il s’est contenté de dire « ben quoi, de toute manière elle sera retranchée des autres ». Il avait raison. Des cinq notes reçues, la plus basse et la plus haute sont toujours écartées pour conserver un pointage de 30 points. C’est la règle, peu importe ce que j’en pense encore aujoud’hui 😉
Par sa nature, la poésie est reçue par le public d’une infinité de manières différentes. Ce caractère subjectif doit passer avant votre égo. De mon expérience personnelle, c’est le plus grand défi du slam. Après avoir travaillé le poème, la maitrise technique, pratiqué, pratiqué encore, imaginé une mise en scène et pitché avec aplomb (sans être payé faut-il le rappeler), vous aurez peut-être, au final, une note de marde.
Les juges ont un rôle ingrat, un peu de la même manière que les critiques culturels des journaux. Noter du matériel chargé en émotion est très difficile et c’est pour cette raison qu’un slammeur n’a pas le droit de se mettre en colère contre eux. Une disqualification doit rimer avec humilité et pourquoi pas introspection? Après, il faut gérer cette déception. La colère et la tristesse sont deux moteurs de création très efficaces. Pourquoi ne pas écrire un nouveau slam?
Pour relativiser, dites-vous que de toutes les formes d’arts, le slammeur est le seul à recevoir la critique sous forme strictement numérale, sans explication aucune et tout juste après sa prestation. C’est extrêmement difficile, j’oserais dire que peu d’artistes professionnels pourraient le supporter comme vous pourrez le faire.
10. Ne pas slammer
Humoriste, improvisateur, rappeur, poète ou comédien, le slam est un formidable chantier de tests pour votre maitrise artistique et technique. Tous les aspects de la communication verbale et non-verbale peuvent y être calibrés. L’art scénique implique de considérer le public, de gérer son stress et de se préparer suffisamment. Pour toutes ces raisons, le slam est un outil gratuit qu’il serait bête de ne pas utiliser.
Le slam implique aussi un travail sur soi. Sur son écriture avant tout, mais aussi sur ses capacités d’orateur ou d’oratrice. Le slam en compétition est la forme de d’art qui pour moi se rapproche le plus d’un sport. On y retrouve les composantes de gestion du stress devant la performance, de la déception dans l’échec et du respect de l’adversaire. Trois atouts nécessaires pour devenir meilleur. Au slam, vous êtes les premiers responsables de vos succès et de vos échecs.
Par-dessus tout, une autre caractéristique du slam est de présenter sur la même scène des artistes complètement différents les uns des autres. Je le compare à une sortie au musée pour poètes. En s’immergeant dans une quantité d’univers éclectiques en si peu de temps, on ne peut qu’en ressortir inspiré.